LA LIBELLULE DE M. ISMAEL
Lorsque la nuit tombe comme un rideau, les néons de la terrasse s'allument.
Une libellule au corps effilé et aux ailes palpitantes s'envole, irrésistiblement
attirée par la lumière crue qui se déverse dans le noir. Elle se frotte, amoureuse, contre
la lampe ; la chaleur la repousse ; elle revient, dansante, têtue, comme si en s’approchant
au plus près, elle pourrait devenir scintillante ! Alors elle se suspend à son rêve, à son
envie ; tourne autour de la lumière, la frôle encore et encore, se pose ; ses ailes battent
l'air, grincent et elle repart, chauffée mais pas échaudée, courageuse toujours.
Un lézard a remarqué le ballet, le dialogue adorateur de la libellule à la lumière.
Il se cache et attend le passage de son dîner ! La libellule, affamée de brillance, revient
à la charge, rôde, tourbillonne, légère, inconsciente et se pose. Le lézard s'élance, tente
de la happer mais d'un coup d'aile adroit, elle se dégage et parvient à fuir, à s'échapper.
S'échapper certes, mais la libellule n'est pas prudente ou du moins son désir est plus
puissant que la peur. Alors elle y retourne, le lézard est toujours là...
Ce jeu infernal va durer toute la nuit. Du fond de mon lit, j'entends les ailes de la
libellule battre le tube lumineux, j'imagine l'impatience du lézard, puis le silence...
Le lendemain matin, la lumière s'est éteinte, le lézard a disparu, le cadavre de la
libellule gît sur le carrelage de la terrasse, dévoré par des fourmis...
Match nul …. sauf pour les fourmis !!!
Stéphanie Thuillez